L'homme et l'animal (chapitre 3)
"LE MONDE N'EST PAS UN BRICOLAGE, NI LES BÊTES UN PRODUIT À NOTRE USAGE"
Schopenhauer, 18ème siècle.
Résumons. Nous savons depuis l'Antiquité que l'Homme est un animal doué de raison et que l'Animal est doué de sensibilité. Nous savons également qu'il existe entre eux une simple différence de degrés. Et parce que les bêtes ont des sensations, des désirs, de l'intelligence et des sentiments, il est essentiel de prendre en considération leurs intérêts, leur accorder notre pleine compassion.
Mais aujourd'hui encore, le petit singe nu persiste. Son âme, marquée du sceau de la divinité, serait la seule vouée à l'immortalité et au respect. Pétrie de convictions depuis l'arrivée de son ami imaginaire (appelez-moi Dieu!) la bête humaine se plait à rappeler la complexité qui est la sienne - ce qui la rend si exceptionnelle à ses propres yeux.
Certes, le petit singe nu a plus d'imagination que de mémoire. Il aime ce que Nietzsche appelait "les arrière-mondes". Il les aime tellement qu'il en crée en permanence, au prix de l'oubli du seul monde qui soit - le réel. Si l'Homme usait de sa mémoire du réel, il deviendrait enfin l'Être exceptionnel qu'il prétend être. Il se rappellerait des pères des luttes antispécistes contemporaines. Il se souviendrait notamment de Montaigne, Rousseau, Schopenhauer et Bentham. Et il cesserait définitivement d'affirmer, de manière éhontée, que l'animalisme et l'humanisme ne sont pas liés.
"LA PLUS MALHEUREUSE ET LA PLUS FRÊLE DE TOUTES LES CRÉATURES, C'EST L'HOMME, ET EN MÊME TEMPS, LA PLUS ORGUEILLEUSE"
Montaigne (1533-1592)
" (...) Le bestiaire de Michel de Montaigne a de quoi surprendre. Pour être réjouissant, il n'en développe pas moins une grande leçon d'humanisme qui l'amène à juger du comportement de l'homme, de son arrogance maladive et de la magnificence des bêtes. (...) Montaigne pense hommes et bêtes sur un véritable pied d'égalité (...) il n'hésite pas à affirmer (...) qu'il y a bien souvent plus de différences entre les hommes eux-mêmes qu'entre les espèces."
"L'ironie de Montaigne n'épargne aucune de nos supposées prérogatives, à commencer par la parole. En prétendant en avoir le privilège, nous nous glorifions d'un défaut : l'incapacité à comprendre le langage des animaux. C'est là ce qui nous conduit à les croire muets, alors même qu'ils parlent entre eux, s'enseignent les uns aux autres ce qui leur est utile." (extrait Le POINT, De Montaigne à Darwin)
"La plus malheureuse et la plus frêle de toutes les créatures, c'est l'homme, et en même temps, la plus orgueilleuse. (...) elle se place, selon sa pensée, au-dessus du cercle de la lune et ramène le ciel sous ses pieds. C'est par la vanité de cette même pensée que l'homme s'égale à Dieu, qu'il s'attribue des qualités divines, qu'il se distingue lui-même et se sépare de la foule des autres créatures (...) Par quelle comparaison d'eux avec nous conclut-il à la stupidité qu'il leur attribue ? (...) Nous faut-il une meilleure preuve pour juger l'impudence humaine sur la question des bêtes ?" (extrait, Montaigne, Les Essais)
"IL FAUT ÊTRE AVEUGLE POUR NE PAS S'APERCEVOIR QUE L'ANIMAL EST PAR ESSENCE ABSOLUMENT CE QUE NOUS SOMMES."
Schopenhauer (1788-1860)
"Une autre faute fondamentale du christianisme , (...) c'est qu'il a violemment séparé l'homme du monde animal auquel il appartient pourtant essentiellement : contrairement à la nature, il valorise seulement l'homme et voit les animaux simplement comme des choses. (...) Ce vice susmentionné est une conséquence de la création à partir de rien, d'après laquelle le créateur (Genèse, 1 et 9) confie tous les animaux à l'homme afin qu'il règne sur eux, sans lui recommander en rien de bien les traiter (...) Ainsi les animaux sont livrés à l'homme afin que ce dernier les domine et agisse avec eux selon son bon plaisir (...)
Déguerpissez avec votre morale souverainement parfaite ! (...) Il faut être aveugle (...) pour ne pas s'apercevoir que l'animal est par essence absolument ce que nous sommes, et que la différence réside seulement dans l'intellect, non dans la substance, c'est-à-dire la volonté. Le monde n'est pas un bricolage, ni les bêtes un produit à notre usage. (extrait, Schopenhauer, Parerga et paralipomena)
(à suivre)